GRAVURES ET AMOUR
LE PAPIER AMOUREUX.
Quand on fait de la gravure, on choisit le papier le plus beau et on le met, avec des gants bien propres, dans l’eau. Avec la plus grande des douceurs, pour éviter des plis qui se verront plus tard, on le fait pendre sur un fil pour qu’il s’étire, pour qu’il se montre, pour qu’il respire, pour qu’il boit toute l’eau, sans qu’il se noie. Le papier, comme l’amour, peut se noyer si on lui donne trop à boire d’un seul coup.
Ensuite, on le couche sur des linges doux en coton et avec un rouleau on le masse toutes les fois qu’il nous le demande ou jusqu’à qu’on se fatigue. Le papier, comme l’amour, doit être humide mais pas inondé.
Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pourra le mettre sur la plaque qu’on a gravée préalablement, et puis passer le tout à la grande presse. Si on n’a pas bien fait les choses depuis le début, la presse se charge de détruire notre plaque, notre papier ou tous les deux. C’est ce qui arrive aussi avec la vie, les problèmes et les circonstances de tous les jours quand ils passent roulants sur nos relations.
Mais si tout va bien (il n’y a pas de recettes miracles), le papier humide devient amoureux de l’encre et va la chercher dans tous les petits creux, dans les lignes les plus fines et dans les recoins les plus compliqués qu’on a gravé sur la plaque.
Voilà le grand secret de la gravure : tout dépend de comment on a préparé le papier pour qu’il soit amoureux de l’encre.
C’est après l’une des lectures que j’ai faite de D’AIMANCE par Françoise Leclère, que j’ai commencé à dessiner une série de dessins avec le projet de les mettre en gravure. Il y a des années de cela, j’ai eu le temps de perdre les dessins originaux.
Avec le temps et les expériences, les nouveaux dessins, qui sont arrivés à l’étape gravure, ne sont plus une illustration du texte mais une réflexion sur l’amour. En utilisant les éléments clés du livre (le sentiment amoureux –le cœur-, la puissance créatrice –la littérature, le texte-, et l’être aimée –la coccinelle-) les gravures cherchent à interroger la complexité vertigineuse de l’amour et des relations amoureuses.
Comment on exprime son amour sur un nuage tandis que l’autre est en tout ce qui nous entoure, comment on devient parfois ce que l’autre veut que l’on soit ou comment on devient tout simplement l’autre, comment on se laisse bercer et emporter par l’autre, comment la créativité (qui est individuelle, unique et puissante) peut servir ou pas de parachute quand l’amour se brise ou qu’on le brise sous nos pieds, comment on se questionne sur où l’on va avec cet autre, sur l’amour, sur la relation, sur nos désirs.
Les relations amoureuses que je veux ont le goût sucré-amère du challenge.
Les relations amoureuses parfaites sont celles qui sont fières de leurs imperfections, de leurs va-et-vient, hauts-et-bas, branches, prolongations, hivers et printemps. Qui s’adaptent et qui ne suivent jamais une ligne droite.
On peut très bien être lesbiennes et jamais mettre en cause le mythe amoureux. Ce n’est pas parce qu’on cherche une princesse rose qu’on est plus loin dans notre réflexion sur l’amour. C’est le jour où l’on ne voudra plus de princesses roses. Où l’on ne se satisfera de moitiés d’oranges mais de personnes à part entière.